Je me suis fait un cadeau, il y a peu. J’ai souscrit à la masterclass d’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt. L’exercice de la deuxième leçon consiste à remonter à son désir d’écriture, à se souvenir du moment, du contexte où est apparue l’envie. Voilà ce qui en est ressorti :

goût pour l'écriture

“Quand j’étais petite, je voyais mon père constamment le nez dans ses papiers, lunettes sur les yeux. À pas de loup, je rentrai dans son bureau et cherchai le surprendre. A l’embêter, le chahuter, à attirer son attention. Bouh ! Je le trouvais énigmatique ou plutôt fascinant avec toutes ses feuilles remplies de lignes de calculs autour de lui. Je le voyais écrire dans des glyphes illisibles. Je ne savais pas encore lire mais ses lettres ne ressemblaient en rien à celles qui décoraient les pages de mes livres d’enfant. La rondeur des caractères d’albums jeunesse ne se trouvait dans aucun des mots de mon papa. Il rédigeait sans doute des courriers secrets, des correspondances mystérieuses

Quand je rendais visite à mon frère, dans sa chambre de grand, il était souvent assis à son bureau lui aussi. Des livres scolaires béants, le coude sur la table, sa main droite retenait sa tête. Ca semblait intense d’être adulte. Déchiffrer des codes, comprendre des symboles en forme de tabouret (π), des points superposés (:), des barres obliques (/). Pour que la tête de mon frère en devienne si lourde qu’il doive la poser sur sa main, lire et écrire devaient requérir des efforts surhumains, des pouvoirs de super-héros

goût pour l'écriture

Les observer dans ces silencieuses contemplations de chiffres, de lettres et de symboles opaques, sentir leur réflexion embaumer la pièce comme après un long match de tennis, je voulais moi aussi, transpirer du cerveau et griffonner des trucs que moi seule pourrais comprendre, tirer des traits, faire des pâtés, avoir un stylo dans la main chaque fois que je m’assiérai à une table. J’ai alors appris à lire très très vite. Je voulais savoir que maison ne s’écrivait pas avec un « z », que professeur ne prenait qu’un seul « f », et non colorier sans dépasser les bordures. 

J’ai imaginé mille et une fois les langages occultes que pouvaient traduire mon père et mon frère, les formules mathématiques ouvrant un portail dans les étoiles, les dates historiques et les moustaches des poilus que j’avais entraperçu dans les livres d’Histoire de Xavier. 

Mon goût pour l'écriture

Dans les attitudes qu’ils prenaient tous les deux, en pleine concentration, je puisais une source intarissable d’inspiration. Je les imitais. J’écrivais ce que je pouvais. Au début, dans des signes dont j’étais l’unique gardienne de la clé ; ça ressemblait à du sumérien ou à de la géométrie. Mais c’était du rien du tout. L’avantage, c’est que tout rentre dans le rien du tout. Pas besoin de grands bagages, le rien se dilate, se rétracte à l’envie. Et puis j’ai fait des phrases, j’ai copié des poèmes, rédigé des sortilèges, couché des chansons dans mes cahiers. Victor, le cadet de notre fratrie, gloussait quand traqueuse, je les lui chantais. C’était nul, disait-il. Mais j’aimais tant sentir le papier sur lequel j’avais appuyé fort mon crayon ! Les pages de mes cahiers de brouillon, j’aimais les tourner pour entendre combien mon encre avait dessus imprimé une musique indélébile. Vierges, elles se tournaient sans trop de bruit. Couvertes d’accents, de virgules, de majuscules et de passé composé, elles avaient un relief qui massait la pulpe de mes doigts et une symphonie de manuscrit ancien retrouvé miraculeusement au fond d’une amphore dans la cale d’un bateau.

J’ai commencé à écrire pour être Grande comme eux je crois. Je voulais en noircir des cahiers pour avoir un pli au milieu des sourcils comme eux. Je rêvais de leurs problèmes. Ca devait être si grisant de tout le temps chercher des solutions.

J’écrivais pour être une princesse, une esclave sublime dans une palmeraie dont un prince romantique tomberait follement amoureux. J’écrivais pour m’endormir enroulée dans une aile de dragon, le nourrir, le soigner, le chevaucher au milieu des nuages. J’écrivais parce que la robe couleur du Temps de Peau d’Âne ne me suffisait pas. La couleur Soleil ou Lune non plus. J’en voulais d’autres : couleur Kryptonite, couleur Vague-à-l’âme, couleur Tonnerre, couleur Je t’aime à l’italienne. 

Je voulais qu’on soit fier de moi, parce que moi aussi j’apprenais des langages et donnais vie à des mondes, que moi aussi un stylo dans la main, je fabriquais du mystère, je façonnais du magique.

J’écris maintenant parce qu’un jour mon âme s’extraira de ce corps et qu’à nouveau j’aurais tout oublié. Calamiteux, mes mots resteront au moins pour quelqu’un. Ils auront dit tant de choses et tant d’autres seront comprises à travers eux. J’écris parce que chaque récit est un secret ; si notre langue est commune, c’est la fréquence de notre vibration qui nous permet d’en comprendre le sens originel.”

Et vous votre désir d’écriture remonte à quoi ? A quand ?

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Thème astral Astrologie astrologue

11 réponses

  1. Hello!
    je trouve ça si mignon 🙂
    Je t’imagines te planquer pour surprendre ton père et te vois les yeux écarquillés en regardant Xavier ^^
    Je ne me souviens pas avoir toujours voulu écrire. Je n’ai que des bribes d’anecdotes que m’ont raconté mes parents sur ma petite enfance. Ayant parlé très tôt (trop tôt pour mon entourage 🙂 ), je déchiffrais les lettres sur les cagettes des fruits et légumes du marché, je parcourais les livres d’enfants à disposition dans le salon de coiffure de ma mère, assise par terre les fesses dans ma couche ou calée dans ces gros fauteuils de coiffeur au fond du salon, afin qu’on ait un œil sur moi… je me souviens aussi avoir fait rougir les employés en hurlant “Corinne , c’est quoi un serpamatozoïde?” … ce qui a eu le don de faire sourire les clientes.
    Mais mon désir d’écriture, je ne m’en souviens plus. Dans ma mémoire est ancrée la notion de “cancre”, de travail “mal propre”, de ratures.
    En revanche, j’avais et j’ai toujours une fascination pour mon grand-père, calligraphe et imprimeur pour le Journal de l’Ouest. Son bureau si minimaliste et si ordonné sentait l’encre, le crayon de bois et la gomme. J’ai souvent cette image devant les yeux quand je ressens l’envie d’écrire. Un jour, j’aimerais reproduire cette atmosphère si précieuse avec cette moquette rouge duveteuse, cette chaleur d’été angevin où le soleil cognait si fort sur les volets de la chambre/bureau qu’il était indispensable de les mettre dans l’espagnolette pour ne pas cuire dès 10h du mâtin. La chaleur amplifiait toutes les odeurs et la lumière tamisée créait une atmosphère propice à l’évasion.
    Émotions …

    Merci pour ton partage, ces moments qui me reviennent me replongent dans une innocence oubliée .

    Bisous

  2. J’aime quand tu écris comme ça, quand ça vient du plus profond de toi, que tu te dessines à travers les souvenirs.
    Ma mère était passionnée de lecture et a son grand désarroi je ne l’étais pas. Elle aimait rédiger et moi pas. Alors comme elle avait une peur bleue des mauvaises notes, elle faisait mes rédactions. Elle y mettait beaucoup de mots que je ne connaissais pas, elle créait à partir de rien des univers tous plus magiques les uns que les autres.
    Peut-être que c’est venu de là. Un jour j’ai raconté une histoire à ma sauce et je ne me suis plus arrêtée. La vie des gens m’a toujours passionnée, les sentiments, alors je me suis lancée comme ça, j’ai écris les sentiments, j’ai inventé des pays, j’ai créé des personnages inconnus, j’ai voyagé, j’ai aimé.
    Pour moi écrire est une façon de dire “je t’aime”….

    1. C’est dingue ça cette anecdote, à propos de ta mère qui faisait tes rédactions. C’est drôle. Merci de l’avoir partagée, et merci du compliment ! 🙂

  3. C’est un très joli texte !
    Moi je me suis mise à l’écriture parce que j’ai toujours aimé raconter des histoires. C’était le moyen d’y déverser un peu de mon imagination débordante. Et en grandissant, c’est l’amour des mots, des belles phrases et des émotions qui m’ont poussée à continuer.

  4. 1. Une masterclass avec Eric-Emmanuel Schmitt ? C’est juste mon auteur préféré. Chacun de ses livres est une pépite pour moi, rien ne peut me faire plus plaisir qu’une parution de Schmitt. C’est le seul qui me mette dans cet état, le seul qui écrive directement comme je ressens. J’ai une gratitude infinie envers cet homme.

    2. Ce texte est fort. J’ai ressenti le tourbillon, c’était un vrai bon moment, intime.

    3. Je me suis mise à l’écriture d’abord grâce à la poésie. J’écrivais des poèmes et des chansons quand j’avais 10 ans, poussée par un maître d’école génial et un papa poète à ses heures. Mon maître d’école s’appelait Mr Tarel. En CM1-CM2, il nous a initiés à la poésie. Il a vu que ça prenait avec moi, alors chaque semaine, il me commandait des poèmes que je prenais plaisir à inventer et à écrire avec mon père. Un jour, j’ai repris la structure d’un célèbre poème de Rimbaud, sur laquelle j’ai placé une nouvelle histoire. C’était “complexe” pour mon âge. Je lui ai montré, et j’ai lu l’étonnement et l’admiration dans son visage. Il m’a félicitée chaleureusement, me demandant comment j’avais fait. Ce moment restera à jamais gravé dans ma vie. C’est là que j’ai compris que j’avais un pouvoir entre les mains, que j’étais capable de toucher avec ma plume comme avec ma voix. Je ne le remercierai jamais assez pour avoir cru en moi, m’avoir donné cette confiance en mes capacités. Vraiment, ça a changé ma vie.
    J’en pleurerais presque. De gratitude.

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